Ciné-Concert
Larmes de clown
(He who gets slapped)
- E-U
- 1924
- 1h26
- N&B
- Version restaurée
Réalisateur : Victor Sjöström – Image : Milton Moore – avec John Gilbert, Lon Chaney, Norma Shearer, Ruth King
Beaumont est un brillant scientifique, à qui la fortune a toujours souri. Mais, un jour, alors qu’il s’apprête à présenter ses derniers travaux à l’Académie des sciences, il est trahi par un ami qui lui vole ses notes. Humilié, Beaumont décide de disparaitre aux yeux de tous : il intègre une troupe de cirque et devient clown, « celui qui reçoit des gifles ».
Chaplin et Lubitsch considéraient Victor Sjöström, comme le meilleur metteur en scène du monde. En 1924, Il tourne son premier film hollywoodien qui est considéré comme un de ses chefs d’oeuvre : Larmes de clown.
L’histoire de ce scientifique (incarné par le fantastique Lon Chaney) qui, giflé et trahi, survit en devenant clown, le clown qui reçoit des gifles, atteignant ainsi la gloire, nous touche incroyablement, parce qu’elle parle d’une manière forte, profonde et subtile, de l’amour, de l’humour, et de la terrible ironie de la vie. La finesse de la réalisation, l’incroyable créativité de Sjöström (dont aujourd’hui le nom n’est connu que d’une poignée de cinéphiles), la profondeur et la simplicité de cette histoire font de cette oeuvre une terre extrêmement fertile pour la musique.
En coréalisation avec le Conservatoire à Rayonnement Régional du Grand Chalon
Larmes de clown est une musique poignante, intense. Elle n’accompagne pas le film, elle fait jeu égal avec lui. Elle s’improvise par touches légères ou graves, ne souligne ou ne surligne jamais. Elle est là magnifique, magnétique.
Improjazz, Luc Bouquet, juillet-août 2010
A plus d’un titre, la naissance de Larmes de clown constitue un moment clef. La MGM vient alors d’être fondée, et ces Larmes… est le premier film qui y est produit. Le studio, qui a préféré patienter pour sortir le long métrage à une date parfaite, a préparé et diffusé d’autres films en attendant, mais c’est au début de Larmes de clown qu’apparaît pour la première fois le légendaire logo du lion rugissant. Une quasi-première, également, pour Victor Sjöström. Sjöström, devenu Seastrom aux Etats-Unis, a alors derrière lui une dizaine d’années de mise en scène, d’écriture et de jeu en Suède. Il vient d’arriver en Amérique, peu après avoir signé l’un de ses films les plus marquants (La Charrette fantôme), et Larmes de clown est son premier projet d’envergure après l’essai Name the Man. Première rencontre également entre la toute jeune Norma Shearer et la MGM, dont elle deviendra l’une des vedettes. Adapté d’une pièce du Russe Leonid Andreïev, Larmes de clown suit la chute sociale, la perte de dignité d’un scientifique qui, humilié, devenu clown malgré lui face à ses confrères, décide de devenir clown pour de bon, sous un chapiteau où bouffonnerie et pathétique se côtoient.
Tragique allégorie : en une superposition, un fondu enchainé, le globe terrestre, entouré de clowns, devient la piste aux étoiles, où les saltimbanques gigotent et grimacent devant un public hilare – la scène est le monde. Le maquillage de clown ne trompe personne : que sont ces gifles si ce n’est l’expression pathétique, l’humiliation sans cesse revécue, masochisme expiatoire d’une défaite, sociale ou amoureuse. Lon Chaney, dans le rôle de lui, qui se fait gifler (le titre original du film), impose sa gueule cassée au cœur d’une armée de clowns plus inquiétants que drôles, rire bonhomme ou rire possédé, mimant la mise à mort mais ne s’agit-il vraiment que d’un jeu ? A cette intrigue se greffe un triangle amoureux dont le clown est forcément exclu (« Un instant, j’ai cru que tu étais sérieux », lance la jeune acrobate à son admirateur grimé), renforçant son statut de figure sacrificielle. Perdant magnifique, mais perdant malgré tout.
FilmDeCulte, Nicolas Bardot
Mélodrame adapté d’une pièce russe, ce film muet est particulièrement riche. Les personnages sont nombreux à graviter autour de Paul Beaumont et leurs caractères profonds, allant de l’insouciance à la fourberie. Le sujet principal – l’histoire d’un homme déchu – est doublé par la romance entre l’écuyère et l’acrobate (John Gilbert). Le scénario propose donc un enchaînement très rythmé, auquel participent la mise en scène et le cadrage. Décors et costumes nous transportent dans le monde du cirque. Et le travail visuel de Victor Sjöström sur le noir et blanc crée une ambiance poétique quoique très réaliste, initiant un univers symbolique.
Cette interrogation sur la nature humaine (pourquoi l’homme rit-il si facilement lorsque quelqu’un se fait gifler ?) est l’occasion de redécouvrir Lon Chaney. Avec une simplicité alliée à une grande habileté, il émeut aux larmes grâce à ses regards poignants. Ce mystérieux héros au masque blanc « qui reçoit des gifles » réussit à faire pleurer de rire ses spectateurs, alors que lui-même est au comble du désespoir. Finalement, « le héros rejoue chaque soir au cirque le drame dont l’amphithéâtre avait été le décor. »
Positif, n°340, juin 1989